Hier est paru un Hors Série du Figaro, consacré à Notre-Dame de Paris.
En page 30, un article est consacré aux Templiers.
Son titre "19 mars 1314, La malédiction des Templiers".
Sans juger de la qualité historique de l'article, il nous est impossible de passer sous silence l'erreur de date. Cette journée s'est sûrement déroulée le 11 mars, éventuellement le 18 mars, mais en aucun cas le 19 mars.
Quant à la description du lieu du bûcher, elle est plus qu'imprécise :
"En ce 19 mars 1314, la foule se tait tandis que Jacques de Molay s'avance vers le bûcher dressé sur un îlot face au parvis de Notre-Dame".
Géographiquement, cet îlot est situé le long du jardin du roi, au niveau de la place Dauphine actuelle. La notion "en face du parvis" est donc plus que surprenante.
Un petit point historique s'impose concernant ces deux erreurs.
A l'issue du Concile de Vienne, les quatre principaux dignitaires de l'ordre, Jacques de Molay, Hugues de Pairaud, Geoffroy de Charney et Geoffroy de Gonneville, n'étaient pas concernés par les décisions de celui-ci. Le pape Clément V s'était réservé de règler leur cas plus tard.
Le 22 décembre 1313, il nommait trois cardinaux pour juger en son nom et statuer sur leur sort. Devant cette commission envoyée à Paris, les templiers renouvelèrent, une fois de plus, leurs aveux.
Le 18 mars 1314, ces cardinaux entourés du légat du pape le cardinal d'Albano, faisaient amener les accusés sur le parvis de Notre-Dame de Paris pour leur signifier publiquement la sentence définitive qu'ils avaient décidé de prendre à leur encontre. Les templiers furent installés sur un échafaud et dans un silence impressionnant, la décision tomba : ils étaient condamnés "à la prison perpétuelle et sévère" !
Comprenant la situation, Molay, le dernier grand maître du Temple, se révolta. Malgré plus de 6 longues années de détention, il trouva suffisamment de force pour s'insurger contre l'hypocrisie de Philippe IV le Bel et du pape Clément V. Il confessa son erreur de jugement, sa tactique de défense et dénonça les tourments qu'il avait enduré. Encouragé par les paroles du maître, Geoffroy de Charney protesta également. En revenant sur leurs aveux, ces deux dignitaires connaissaient le sort réservé aux relaps : le bûcher.
Hugues de Pairaud et Geoffroy de Gonneville gardèrent le silence et acceptèrent la sentence : la prison à vie.
Le continuateur de Guillaume de Nangis, le plus précis parmi les sources contemporaines, nous relate l'événement :
Le grand maître de l'Ordre des Templiers et trois autres templiers [...] avouèrent tous quatre ouvertement et publiquement les crimes dont on les accusait en présence de l'archevêque de Sens [Philippe de Marigny] et de quelques autres prélats et hommes savants en droit canon et en droit divin, assemblés spécialement pour ce sujet d'après l'ordre du pape, par l'évêque d'Albano et deux autres cardinaux, et auxquels fut donnée communication de l'avis du conseil des accusés. Comme ils persévérèrent dans leurs aveux, et paraissaient vouloir y persister jusqu'à la fin, après une mûre délibération, sur l'avis dudit conseil, ladite assemblée les condamna, le jour après la fête de Saint Grégoire, [lundi 18 mars] sur la place publique du parvis de l'église de Paris [Notre-Dame] à la réclusion perpétuelle. Mais voilà que, comme les cardinaux croyaient avoir définitivement conclu cette affaire, tout à coup deux des templiers, à savoir le grand maître de l'outre-mer et le grand maître de Normandie, se défendirent alors opiniâtrement contre un cardinal qui portait alors la parole et contre l'archevêque de Sens et, sans aucun respect recommencèrent à nier tout ce qu'ils avaient avoué, ce qui causa une grande surprise à beaucoup de gens. (1)
Devant cette situation inédite, les cardinaux, pris de court, ne savent comment réagir et décident de renvoyer l'affaire au lendemain. Bien entendu, l'information arrive très vite à Philippe le Bel, qui une fois de plus, outrepasse ses droits et décide de se substituer à l'autorité pontificale. Il condamne à mort Molay et Charney et ordonne, pour le soir même, leurs exécutions.
Reprenons la suite du récit du continuateur de Guillaume de Nangis :
Les cardinaux les ayant remis entre les mains du prévôt de Paris alors présent [agent royal], seulement pour qu'il les gardât jusqu'à ce que le jour suivant ils délibérassent plus complètement à leur égard, aussitôt que ces choses parvinrent aux oreilles du roi qui était alors dans le palais royal, il consulta avec les siens, et, sans en parler aux clercs, par une prudente décision, fit livrer aux flammes les deux templiers, vers le soir de ce même jour, dans une petite île de la Seine, située entre le jardin royal et l'église des frères ermites.(2)
Le bûcher
Pour l'emplacement du bûcher, voici la description de Alain Demurger dans son livre "Jacques de Molay - Le crépuscule des templiers" :
Le bûcher fut dressé sur un îlot au bout de l'île de la Cité, au- dessous des Jardins du Roi.
Ce jardin s'arrêtait au Pont-Neuf actuel et la pointe formant l'actuel square du Vert-Galant n'existait pas encore. L'îlot n'appartenait pas au Roi mais à l'abbaye de Saint-Germain-des-Prés. Cet îlot était situé sur le côté des jardins du roi, à la place du quai des Orfèvres et de la place Dauphine actuelle et non à la pointe de la cité ; il sera appelé au XIVème siècle "Île aux Juifs".
Pour la petite histoire, le chroniqueur Villani indique que certains spectateurs recueillirent les cendres de Molay avant qu'elles ne soient dispersées :
Il faut noter que, dans la nuit qui a suivi le martyre du grand maître et de son compagnon, leurs corps et ossements furent recueillis comme saintes reliques par des frères et autres religieux, et mises à l'abri dans des lieux saints. (3)
Une autre date possible ?
D'autres chroniques du temps, Jean de Saint-Victor, Bernard Gui, les Grandes Chroniques de France, ne donnent qu'un récit très court de cette journée.
Le chroniqueur Bernard Gui, plus fiable selon Alain Demurger, date cet événement, au lundi avant la Saint-Grégoire (soit le 11 mars).
En 1314, la Saint-Grégoire tombait le mardi 12 mars.
Alors le 18 mars, date traditionnelle, ou le 11 mars ?
Toujours selon Alain Demurger, la précision chronologique habituelle de Bernard Gui et les habitudes de dation du temps pourraient donner raison à ceux qui tiennent pour le 11 mars.
Le choix reste possible entre ces deux dates, mais en aucun cas le 19 mars n'est envisageable.
(1) Chronique latine de Guillaume de Nangis de 1130 à 1300.., op. cit., t. 1, p.402 ; trad. F.Guizot, Collection des mémoires relatifs à l'histoire de France, op. cit., t. 13, p.299-300.
(2) Nangis, t. 1, p.402 ; Guizot, p.300-301.
(3) Cronica di G. Villani, t. II, Liv. VIII, chap. 92, p. 126-127.
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gourdain monique (samedi, 09 février 2013 09:13)
il est bon de rétablir la verite historique !!!!