Titre / dénomination : Baptistère de Saint Louis.
Lieu de production : Égypte ou Syrie.
Dimension : H. 22,2 cm ; D. 50,2 cm
Date / période : Vers 1320- 1340.
Matériaux et techniques : Laiton martelé, décor incrusté d'or, d'argent et de pâte noire.
Ville de conservation : Paris.
Lieu de conservation : Musée du Louvre, Département des Arts de l'Islam.
Provenance : Sacristie de la Sainte-Chapelle de Vincennes.
Ce bassin, connu sous le nom de Baptistère de Saint Louis, a été exécuté en Syrie ou en Égypte
mameloukes dans la première moitié du XIVe siècle. Il présente des flancs légèrement rentrants vers le haut et une bordure à aile faiblement inclinée. Sous le bord extérieur, l’artiste a
gravé sa signature: « Œuvre du maître Muhammad Ibn al-Zain, qu’il lui soit pardonné » (1). Bien que somptueux, et abondamment paré de scènes figuratives, il ne comporte aucune dédicace. En revanche,
le nom d’Ibn al-Zain, apparaît six fois, ce qui est exceptionnel.
Sur la paroi extérieure, les panneaux décoratifs, interrompus par des rondeaux, forment quatre tableaux qui
se répondent selon une symétrie en X. Deux d’entre eux ont pour sujet les émirs mamelouks du cercle intérieur (khâssakiya), proche du Sultan. Représentés en pied, ils portent des petits turbans serrés par une bandelette,
des robes croisées sur la poitrine, selon la mode tatare, des bottes souples, parfois marquées de blasons.
Ils tiennent les instruments de leur charge : le jumaqdâr, une masse d’arme, le tabardâr, une hache, le bunduqdâr, un arc, le silâhdar, une épée. Le maître de la Garde-robe courbe le dos sous un ballot d’étoffes ; une soierie pend à son bras. En tête de chaque groupe, un jeune Mamelouk se prosterne comme s’il rendait hommage au cavalier inscrit dans le rondeau de séparation. Dans les deux panneaux opposés figurent des veneurs et des officiers de la Chambre. Ce ne sont peut être plus des Mamelouks : leurs traits sont différents ; ils sont sans armes et leurs casques ressemblent parfois des couvre-chefs ilkhanides. On distingue le fauconnier, l’échanson, le goûteur ;
ce dernier présente un plat creux où est inscrit : « je suis un plat pour la nourriture » (2).
À l’intérieur du bassin, quatre panneaux oblongs montrent successivement deux scènes de chasse, puis deux scènes de batailles, chacune très mouvementée. Quatre rondeaux les séparent. Deux d’entre eux accueillent un souverain en trône entouré du grand Secrétaire portant l’écritoire et du Maître de l’Armurerie, portant une épée ; les deux autres sont meublés d’écus aux armes de France. Toutes ces scènes se détachent sur des rinceaux feuillus. Elles sont bordées de frises d’animaux passant ou courant, ou de créatures fantastiques. Dans le fond du récipient s’enroule un vortex de bêtes aquatiques, parmi elles, un crocodile. Enfin, sur les bordures externe et interne, au dessus de chaque tableau, figure un petit lys inscrit dans un rondeau - ce qui fait huit blasons.
Ce décor figuratif est exceptionnel. Le costume des émirs reproduit celui qui a été fixé par le sultan al-Mansûr Qalâ’ûn (r. 1279-1290). On ne relève pas cette dimension descriptive dans les métaux mamelouks du XIVe siècle, ornés de végétaux et d’inscriptions monumentales. En revanche, un autre récipient signé par Ibn al-Zain, lui aussi paré de scènes de cour (3), confirme l’inclination de l’artiste pour ce style pictural qu’on rapprochera d’un Maqâmat de Hariri, illustré en Egypte en 1334 (4). Certains historiens d’art ont même pensé que les tableaux disposés à l’extérieur du bassin décrivaient des événements précis. D.S Rice a ainsi reconnu, dans le personnage barbu et casqué qui se tourne vers le maître de la Garde-robe, le puissant émir Salâr, vice-roi d’Egypte sous le Sultan Muhammad ibn Qalâ’ûn (r. 1294 -1299), grâce aux blasons qui marquent ses guêtres (5). D’autres ont vu, dans le face à face qui oppose les officiers de la Chambre aux émirs, une représentation de l’ambassade mongole envoyée par Bereke auprès du Sultan Baybars (6), en 1264. Cependant, les musulmans n’ont aucune tradition de peintures d’histoire et toute figuration importante est normalement accompagnée d’une inscription qui en précise le sens (7).
Une autre source d’interrogation tient aux blasons disséminés dans la pièce. La fleur de lys logée dans un rondeau ressemble au lys héraldique des Qalâ’ûn. Or, ces emblèmes se superposent à des blasons encore discernables et qui sont inconnus en terres d’islam. Sous un lys se devine un lion rampant semblable à celui des Lusignan (le lion de Baybars est un lion passant), sous un autre, se perçoit un motif en forme de clef. Tout se passe comme si cet ouvrage luxueux, mais sans dédicace, avait été destiné aux Lusignan de Chypre ou à un autre seigneur chrétien, puis adressé à la famille des Qala’ûn. D’autres indices montrent qu’il y a eu, dès l’origine, une sorte d’option ouverte sur les destinataires : sur la paroi interne, les armes de France soudées au XIXe siècle, ont été placées sur des écus déjà existants, mais laissés en blanc par le dinandier (8). On a le même cas de figure avec le bassin mamelouk inscrit au nom d’Hugues de Lusignan, où différentes zones ont été laissées en réserve pour recevoir une inscription en français et les armes de Jérusalem (9).
La pièce, peut être commandée par des chrétiens, poursuivra sa carrière hors du domaine musulman. Elle entrera dans les collections des rois de France à une date qui reste à déterminer. Si elle ne figure pas dans l’inventaire de Charles V, on sait qu’elle servira de « fonts » pour le baptême de Louis XIII, au Château de Fontainebleau (10).
Quant à l’appellation « Baptistère de Saint Louis », qui lui sera donnée au XVIIIe siècle, elle est erronée (11). Le bassin, par sa forme, paraît postérieur au XIIIe siècle, et n’a pu appartenir à Louis IX, mort en 1270. Par ailleurs, un baptistère n’est pas un objet, mais une construction séparée de l’église.
Quoi qu’il en soit, le bassin d’Ibn al-Zain se range parmi ces objets de luxe fabriqués en terres d’islam, mais commandités ou recherchés par les souverains d’Europe. Et de même que le bassin des Lusignan développe un décor astrologique en harmonie avec son royal destinataire, le Baptistère pourrait bien délivrer un message néoplatonicien dans la distribution de ses images. Du fond central animé par un vortex, à la paroi externe garnie de personnages solidement campés sur leurs deux pieds, se déploie une puissance en mouvement amenée graduellement à son point de stabilité. Cette construction spiralée est induite par la ronde de poissons. Au Moyen Orient, dès la haute Antiquité, cette ronde, associée à la croix en forme de svastika placée au centre, a été assimilée à l’énergie solaire. A l’époque musulmane, elle sera appelée à traduire la « Fontaine de Vie » gardée par Elie et al-Khadir (12). Il se trouve que cette figuration à portée cosmique s’applique à un récipient qui servira de fonts baptismaux en Occident chrétien. Il aura une dernière fois cet usage en 1856, lors du baptême du prince impérial Napoléon-Eugène à Notre-Dame de Paris.
NOTE
(1) « ‘amal al-mu’allim Muhammad ibn al-Zain ghufira lahu ».
(2) « an makhfiya li hamel al ta’âm ».
(3) Lui aussi conservé au Louvre, legs Vasselot, inv. MAO 331. Par ailleurs une grille en fer forgé, enrichie de nœuds en cuivre, exécutée entre 1340 et 1359, pour protéger un tombeau à l’intérieur d’une khanqa-madresa de Jérusalem, porte la signature Ibn al-Zain. Cf. l’article de J.W.Allan.
(4) Bibliothèque nationale de Vienne, inv. A F. 9.
(5) D. S. Rice, Le Baptistère de Saint-Louis Paris, Les Editions du Chênes, 1951, p 16-17.
(6) Cf. Doris Behrens-Abouseif, « The Baptistère de Saint-Louis: a Reinterpretation », in Islamic Art,III, 1988-1989, The Islamic Art Foundation New York, p. 3-15.
(7) Ce fait est souligné par R. Ward. Cf. Rachel Ward, “The Baptistère de Saint Louis” – A mamluk Basin Made for Export to Europe, in “Islam and The Italian Renaissance, éd. C. Burnett et A. Contadini, Londres, 1999, p. 113-132.
(8) Millin, qui fut le premier à reproduire le « Baptistère de Saint Louis » dans ses Antiquités Nationales parues en 1791, ne fait figurer aucun meuble dans les écus placés sur les parois internes, à l’intérieur des rondeaux. Signalé par R. Ward dans l’article déjà cité.
(9) Il s’agit d'Hugues IV de Lusignan (r. 1324-1359). Le bassin est conservé au Louvre, inv. MAO 101, ainsi qu’un plateau en laiton incrusté d’argent aux armes des Lusignan de Chypre : un écu meublé d’un lion rampant, inv. MAO 1227.
(10) Le bassin appartenait autrefois au Trésor de la Sainte-Chapelle du château de Vincennes, construite sous Charles VI (r. 1380-1422). Il est possible que le bassin soit entré sous le règne de celui-ci.
(11) Louis IX fut baptisé à Poissy en l’église Notre-Dame, en 1214. Les fonts baptismaux de Poissy n’avaient aucune ressemblance avec le bassin du Louvre.
(12) Le thème de la Fontaine de Vie, gardée par Elie et al-Khadir est coranique : Sourate XVIII, Les Gens de la Caverne. Egalement traité par Nezâmî dans le Roman d’Alexandre, il fera aux XVe et XVIe siècles le sujet de nombreuses miniatures timourides et safavides.
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