Titre / dénomination : De laudibus sanctae crucis
Auteur : Raban Maur
Lieu de production : Fulda
Date / période : IXe siècle
Ville de conservation : Paris
Lieu de conservation : Bibliothèque nationale de France
Ce folio est le dernier d’une série de 28 donnant une étonnante superposition de messages théologiques.
Leur auteur est le moine bénédictin de l’époque carolingienne Raban Maur (m. 856). Le fond de la page est constitué par un poème en latin en l’honneur de la croix du Christ, dont chaque vers comprend le même nombre de lettres. Des figures géométriques (cruciformes) et des êtres vivants sont également représentés. Les lettres des vers se superposant aux figures donnent un sens spécifique qui s’y rapporte. Ainsi, la figure du moine à genoux est celle de Raban lui-même, et son nom apparaît sur lui comme une signature.
S’y intègrent des acrostiches, des palindromes et des spéculations sur les chiffres (3 chiffre de Dieu, 4 celui de l’homme, 9 l’ordre des anges, 12, 28, 70, 144 …) exprimées soit par la valeur numérique de lettres, soit par les diagrammes géométriques. L’idée est que la croix, au-delà du dogme proprement dit, est le signe d’une harmonie parfaite qui englobe le cosmos matériel, les cieux et les ordres angéliques, et la nature divine elle-même.
Cette conception de l’harmonie universelle exprimée par le nombre et la lettre est bien antérieure au christianisme. Elle avait été développée dans l’antiquité grecque notamment par Pythagore et les auteurs
néo-pythagoriciens : celui qui pénètre le mystère des nombres et de leurs relations peut comprendre et contempler la matrice qui organise tout l’univers. Par exemple, 28, qui est le nombre des maisons lunaires, est aussi un chiffre parfait qui équivaut à la somme de ses diviseurs (1+2+4+7+14) : un lien est ainsi perçu entre l’ordre céleste, astral, et l’arrangement des nombres entre eux. Dans le judaïsme, les spéculations sur les chiffres et les lettres (chaque lettre de l’alphabet hébraïque étant doté d’une valeur numérique) appliquées au texte biblique furent anciennes et abondantes, et connurent un épanouissement inouï avec les enseignements de la kabbale (notamment ceux d’Abraham Aboulafia et le Zohar au XIIIe siècle, de Moïse Cordovero et Isaac Luria au XVIe siècle).
Un équivalent de la kabbale s’est également développé en climat islamique, la « science des lettres », appliquée ici au texte coranique principalement. Chacune des 28 lettres de l’alphabet arabe est dotée d’une valeur numérique. L’idée que Dieu créa le monde par sa parole conduisit à la conception d’un monde entièrement constitué comme et par un langage : la connaissance des secrets des lettres permet d’accéder aux mystères du ciel comme de la terre (d’où l’importance des spéculations littérales en alchimie). Le plus grand auteur dans cette discipline fut incontestablement Ibn ‘Arabî (m. 1240).
Il est intéressant de constater la convergence des pensées juives, chrétiennes et musulmanes concernant cette harmonie des chiffres et des lettres. Le contenu des spéculations diffère bien sûr : les alphabets ne se recouvrent pas (22 lettres en hébreu, 24 en grec, 28 en arabe), les textes sacrés étudiés non plus, la conception et la finalité des spéculations divergent souvent. Par contre, l’idée centrale que le langage humain correspond à une harmonie mathématique, et que la structure de la création et des rapports des hommes à Dieu s’expriment de façon « chiffrée » est bel et bien partagée. Elle aboutit parfois à la conclusion que cette connaissance ésotérique des lettres donne un pouvoir sur le cours des choses, et donc à des pratiques de type magique.
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