
Nom : Mausolée de Bohémond Ier, Prince d'Antioche
Lieu : Canosa,Pouille, Italie
Date/période de construction : Première moitié du XIIe siècle (1111-1118), et phases postérieures. La porte date de 1120 environ
Matériaux de construction : Murs en briques recouverts de plaques en marbre ; porte en bronze
Décor architectural : Colonnettes en marbre
Destinataire/mandataire : Bohémond, prince d'Antioche et ses héritiers
Auteur : Inconnu pour le mausolée ; Roger de Melfi (Rogerius Melfie) pour la porte en bronze ; propriété de la Cathédrale de Canosa, Diocèse d' Andria.
Dimensions : 2,80 x 3,80 m ; H. 6,90 m (mausolée) ; 0,59 x 1,97 m et 0,56 x 1,97 m (portes).
Le mausolée du prince normand d’Antioche, le Croisé Bohémond de Hauteville mort en 1111, demeure un témoignage unique en Italie d’un type de monument qui y est quasiment inconnu.
Cette construction de dimensions réduites, aux proportions équilibrées, s’appuie au transept méridional de la Cathédrale de Canosa. Elle rappelle le type le plus répandu de tombe musulmane, le turbe. Comme dans le probable prototype islamique, la coupole s’élève sur une partie inférieure de forme carrée, en prenant appui sur un tambour octogonal à pans coupés. On ne peut rien dire de la couverture originelle, qui était soit pyramidale (comme le suggèrent des gravures du XVIIIe siècle), soit hémisphérique, deux formes qui se retrouvent dans ce type d’édifices islamiques. L’origine islamique du modèle s’expliquerait bien par la biographie de Bohémond. On ne peut exclure cependant une influence du Saint Sépulcre de Jérusalem, pour la libération duquel Bohémond a combattu, sans pouvoir la démontrer.
D’autres éléments peuvent être rapprochés, toutefois, d’une tradition classicisante, non dépourvue d’échos byzantins, mais aussi de l’architecture romane italienne de la même époque. Le placage extérieur en marbre,
sur lequel existent des théories distinctes (remploi de matériaux prélevés sur des édifices romains ou de provenance orientale), les sobres lésènes, les chapiteaux remployés renvoient sans aucun doute à des traditions classiques
au sens large ; mais les arcatures aveugles qui entourent l’édifice suivant un rythme régulier évoquent des expérimentations pisanes lointaines, peut-être nées, à leur tour, d’exemples arméniens, eux-mêmes inspirés de l’Iran sassanide.
L’intérieur de plan cruciforme, aujourd’hui nu et qui abrite des colonnes de remploi, était décoré de mosaïques.

Une nette influence islamique, assignable à une koiné arabo-chrétienne présente en Europe méridionale, est attestée sur les deux superbes battants de bronze, différents l’un de l’autre, qui ferment le mausolée. Il s’agit du seul exemple en Italie de porte en bronze, réalisation très coûteuse qui exige un investissement artistique, technique et financier non négligeable, dans un bâtiment non cultuel. Une longue inscription retraçant des vers en l’honneur du prince, recouvre en partie les deux battants.
La partie gauche, différente des portes en bronze de type byzantin de la même époque présentes en Italie méridionale, paraît avoir été adaptée aux mesures de l’ouverture et est clairement coupée dans sa partie inférieure. Le fond lisse fait ressortir trois grands médaillons circulaires, ceints d’un bandeau épigraphié indéchiffrable en kufique qui constitue un élément décoratif en soi. Chacun enserre un motif (celui du médaillon supérieur, qui représentait la Vierge, a disparu) : au centre, un masque léonin en relief, la crinière en soleil autour de la tête ; dans le médaillon inférieur, une rosace à six pétales.
Le vantail de droite, divisé en quatre compartiments de tailles inégales, est signé par Roger de Melfi. L’influence byzantine est manifeste dans le traitement des longues figures drapées des deux registres médians : deux orants agenouillés devant un sujet effacé, trois debout semblant converser. En revanche, les médaillons des registres inférieur et supérieur sont tout à fait dans le style islamisant : un mince galon en léger relief dessine, autour d’une fleurette à huit pétales, une rosace complexe aux tiges entrelacées, enfermant de fins rinceaux foliés, huit petits chevaux affrontés et adossées deux à deux et seize volatiles disposés de même. Ces grands rondeaux évoquent l’art du stuc fatimide tel qu’on peut l’admirer par exemple dans le mémorial construit sur le Muqattam (Le Caire) à la gloire de Badr al-Jamali.
Inscription sur le mausolée :
Magnanimus Sirie jacet hic sub tegmine princeps
Quo nullo melior nascetur in orbe deinceps.
victa quater, pars maxima Partia mundi
Ingenium et vires sensere diu Buamundi.
Hic acie in dena vicit virtutis arena
Agmina millena, quod et urbs sapit Antiochena.
Traduction de l'inscription sur le mausolée :
Sous cette couverture gît le prince magnanime de Syrie
Aucun prince meilleur ne naîtra plus dans le monde
La Grèce vaincue quatre fois, la Parthie, la plus grande partie du monde, ont expérimenté longuement le génie et les forces de Bohémond.
Ici avec une troupe de dix il a vaincu des armées de mille
Et cela la cité d’Antioche le sait.
Inscription sur la porte :
Unde boat mundus quanti fueri Boamundus,
Grecia testatur Syria dinumerat.
Hanc expugnavit, illam protexit ad hoste ;
Hinc rident Greci, quod Syrus luget, uterque
Juste, vera tibi sit, Boamunde, salus.
Vicit opes regum Boamundus opusque potentium
Et meruit dici nomine jure suo :
Intonuit terris. Cui cum succumberet orbis,
Non hominem possum dicere, nolo deum.
Qui vivens studuit ut pro Christo moretur,
Promeruit quod ei morienti vita daretur.
Hoc ergo Christi clementia conferat isti,
Militet ut coelis suus hic atleta fidelis.
Intrans cerne fores ; videas quid scribitur ; ores
Ut coelo detur Boamundus ibique locetur.
Traduction de l'inscription sur la porte :
La Grèce témoigne, la Syrie énumère [les gestes] en raison desquels le monde résonne (boat mundus) de la grande valeur de Boémond (Boamundus).
Il vainquit celle-là, protégea celle-ci contre l’ennemi
Ce dont rient les Grecs et dont pleure Syrus, les deux
à juste titre, que cela soit ton vrai salut, Bohémond.
Bohémond a vaincu les richesses des rois et les entreprises des puissants
Et il a mérité, de bon droit, d’être appelé de ce nom :
parce qu’il a tonné sur la terre. Puisque le monde s’est soumis à lui, je ne peux l’appeler homme et je ne veux l’appeler dieu.
Celui qui, vivant, a mis tout son zèle à mourir pour le Christ
a mérité que lui soit donnée, à lui mourant, la vie.
C’est pourquoi la clémence du Christ lui concède de combattre jusque dans les cieux ici comme son athlète fidèle
En entrant, regarde les portes ; vois ce qui y est écrit ; prie
Pour que Bohémond soit donné au ciel et s’y retrouve
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