Titre / dénomination : Stèle funéraire quadrilingue d’Anne, mère du clerc Grisanthe
Auteur : inconnu
Lieu de production : Palerme, Sicile
Lieu de découverte : Palerme, église de S. Michele Archangelo, au sein du complexe de la Biblioteca Comunale, Sicile
Date / période : 1149
Ville de conservation : Palerme
Lieu de conservation : Musée de la Zisa
Inscription : Grec, arabe et judéo-arabe
La stèle a la forme d’un hexagone irrégulier et était insérée dans un sarcophage. Au centre figure une croix grecque en opus sectile et mosaïque. Entre les bras de la croix est écrit IC/XC.NI/KA, abréviation de la formule Iêsous Christos Nikâ, « Jésus-Christ vainc ». Quatre inscriptions en judéo-arabe (1), latin, grec et arabe entourent la croix.
La stèle commémore la sépulture d’Anne, mère de Grisanthe, clerc du roi normand Roger II (r. 1095-1154). Anne meurt le soir du 20 août 1148 et son corps est enterré dans la cathédrale de Palerme ; par la suite, Grisanthe fait construire en son honneur une chapelle funéraire dans l’église de S. Michele Arcangelo à Palerme. La chapelle est dédiée à Anne, mère de la Vierge, et elle est complétée durant le mois d’avril 1149. Le corps d’Anne est transféré
le soir du vendredi 20 mai 1149 et la cérémonie est officialisée par le clerc « avec des prières grecques et latines ».
Le 5 décembre, meurt également Drogo, le père de Grisanthe, et son corps est enterré dans la même chapelle.
Sur sa tombe est apposée une stèle trilingue (grec-latin-arabe). Les deux épitaphes faisaient partie d’un groupe de cinq stèles (aujourd’hui seules trois sont conservées) qui rapportaient les circonstances qui entourèrent la sépulture des parents de Grisanthe.
L’inscription d’Anne est destinée aux communautés linguistiques, ethniques et confessionnelles présentes à Palerme, capitale de la Sicile (2) comme Urbs felix dotata populo trilingui (« Ville heureuse habitée par une population trilingue »), expression qui renvoie aux latin, grec et arabe, pratiqués par ses habitants. La stèle d’Anne utilise quatre alphabets différents (hébraïque, latin, grec et arabe) pour rendre quatre textes similaires par leur contenu mais divers dans les langues qu’ils utilisent. Il en découle que, du point de vue du simple impact visuel, le message apparaît destiné à des communautés ethniques et religieuses distinctes, chacune identifiée par son alphabet et sa langue. L’inscription en judéo-arabe est la seule attestée hors de la communauté juive de l’île. L’inscription sous-entend l’idée que les diverses communautés constituent un seul peuple sous le gouvernement d’un même roi ; si l’on retient cette lecture, il est plausible de considérer que le commanditaire, Grisanthe clerc royal, a été un des interprètes d’un tel programme politique normande, définie par Pierre d’Eboli
Selon J. Johns, la stèle est non seulement un témoignage de la politique rogérienne à destination du populus trilinguis, mais également une référence à son programme de conversion des Juifs et des Musulmans, qu’il entendait rassembler au sein d’une église trilingue. Le jour de la translation du corps d’Anne aurait été choisi avec soin, de manière à se rapprocher le plus possible de fêtes importantes dans les quatre calendriers. Le 19 mai 1149, jour de la translation, était proche aussi bien de la Pentecôte juive que de la Pentecôte chrétienne, festivités toutes deux liées à l’idée de conversion. Cette politique serait confirmée par les mots de Romuald de Salerne (3), qui nous informe que le roi Roger : «circa finem autem vitae suae secularibus negociis aliquantulum postpositis et ommissis Iudeos et Saracenos ad fidem Christi convertere modis omnibus laborabat, et conversis dona plurima et necessaria conferebat» (« vers la fin de sa vie, délaissant et renvoyant à plus tard les questions séculières, s’employait avec tous les moyens à convertir les juifs et les sarrazins à la foi du Christ, et attribuait aux convertis des dons abondants et opportuns »).
TRADUCTIONS :
Texte judéo-arabe
+ Anne, mère du clerc Grisanthe [Akrisant], clerc du glorieux roi, sei-
gneur de l’Italie, de la Longobardie, de la Calabre, de la
Sicile et de l’Afrique, est morte le soir du vendredi
20 août de l’année 4908 [1148] et a été en-
terrée dans la grande cathédrale. Ensuite, son fils l’a
transportée avec des prières [ ?] dans cette église de S.
Michele à la première heure du vendredi 20 mai de l’année
4909 [1149]. Et il a édifié cette chapelle sur sa tombe. Et il
a donné à la chapelle le nom de Sainte Anne en mémoire de la mère
de Notre Dame Marie, mère du Messie. Que Dieu puisse
avoir miséricorde de celui qui lit cette [inscription] et prie
pour la miséricorde d’Anne. Amen. Amen.
Texte latin
+ Le XIIIe jour avant les calendes de septembre [20 août] +
est morte Anne, mère de Grisanthe, et elle a été enterrée
dans la grande église de Sainte Ma-
rie l’année 1148, indiction XI,
et le XIIIe jour avant les calendes de juin [20 mai], elle a été transportée
dans cette chapelle que
son fils a édifié pour le seigneur et pour lui-même
l’année 1149, indiction XII
Texte grec
+ Anne s’est endormie dans la bienheureuse
paix le 20 du mois
d’aôut de l’année 6656 [1148] et elle a été enterrée
dans la grande église catholique
+ et le 20 mai 6657 [1149],
son fils Grisanthe l’a soulevée, reçue comme héritage
avec des prières grecques et latines, et l’a ôtée
de cet endroit. Il l’a déposée dans un lieu où
[…] il a édifié cette chapelle au-dessus d’elle. Priez pour elle [ ?]
Texte arabe
Anna, mère du clerc Grisanthe [Akrîzant], clerc la présence souveraine, le très royal, le haut, le très-haut, le glorieux, le splendide, le très-saint,
le magnifique, le fortitifié par Dieu, celui qui est rendu puissant par Son pouvoir, celui qui est soutenu par Sa force, celui qui règne sur l’Italie, la Longobardie, la Calabre, la Sicile et l’Afrique, défenseur du pape
de Rome, protecteur de la communauté chrétienne — Dieu puisse préserver son règne ! —, est morte dans la soirée du vendredi 20 août de l’année 543 [1148]
et elle a été enterrée dans la grande cathédrale. Ensuite, son fils l’a portée avec des prières d’intercession dans cette église de S. Michele à la première heure de la soirée du vendredi
20 mai de l’année 544 [1149]. Et il a édifié sur la tombe cette chapelle de Sainte Anne en l’honneur du nom de la mère [de Notre Dame Ma]rie
[mère du Messie. Puisse Dieu avoir miséricorde de celui qui lit] et prie pour sa miséricorde. Amen. Amen. Amen.
NOTES :
(1) Le judéo-arabe est la langue « communautaire » des Juifs siciliens jusqu’à leur expulsion en 1492 ; d’un point de vue linguistique, il s’agit d’une des variantes de l’arabe maghrébin.
(2) éd. 1904-1910, p. 15
(3) éd. 1909-1937, p. 427
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HandAbraham (samedi, 25 mai 2019 12:17)
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