Alors que la rive droite est le domaine du commerce et de l'argent, la rive gauche
est celui de l'esprit. Au début du XIIe siècle,
elle est formée de petits bourgs épars groupés autour de leurs abbayes. Accrochés aux flancs de la montagne Sainte-Geneviève, des vignobles descendent jusqu'à la Seine, bordé de prés.
Mais peu à peu, l'aspect de cette partie de la ville va changer grâce à la propagation de l'enseignement.
L'Université de Paris, un statut spécial
Autour de la montagne Sainte-Geneviève des écoles se créent, attirant toute une population estudiantine. Primitivement installées dans l'Île de la Cité, elles ont essaimé, dès le XIIe siècle, dans le futur "quartier latin". Des maîtres comme Guillaume de Champeaux ou Pierre Lombard souhaitent approfondir leur savoir et en faire profiter leurs élèves. L'un des plus réputés d'entre eux, Pierre Abélard, dispense en plein air des cours en latin sur la place Maubert ou autour de l'église Saint-Julien-le-Pauvre. Mais ses méthodes de réflexion nouvelle lui valent d'être condamné au concile de sens en 1140. Il se réfugie à Cluny, où il meurt en 1142. Il a pourtant amorcé un mouvement visant à libérer l'enseignement de la vision traditionaliste de l'Église.
En août 1215, le cardinal Robert de Courson (1201-1274), légat du siège apostolique, obtient les statuts donnant naissance à l'Université de Paris. Elle devient une corporation légale et autonome, une entité juridique dépendant directement du pape et jouissant de certains privilèges : elle est exemptée d'impôts comme la taille ou les droits de péage, et obtient le droit de grève. Elle est subdivisée en facultés de théologie, droit, médecine et arts, enseignés à des étudiants venant des "quatre nations" (Île-de-France, Picardie, Normandie et Angleterre).
Les universités de Paris
Les étudiants parisiens du Moyen Âge étaient des jeunes hommes légèrement intenables. Ainsi, on considère que les universités de la capitale sont nées sous Philippe Auguste, en 1200 : cette date correspond à la reconnaissance, par le grand-père de Saint-Louis, de la corporation des maîtres et étudiants, suite à une rixe qui opposa étudiants allemands et bourgeois de Paris dans une taverne. Le prévôt et ses hommes, en voulant arrêter les coupables, en tuèrent cinq. Du scandale qui suivit naquirent les privilèges fondant l'Université de Paris.
Indépendance des universités
Sous Saint-Louis, rixes et disputes demeurent d'actualité, opposant tantôt les étudiants avec des archets du guet, tantôt avec les bourgeois de Paris. Si les étudiants aiment boire, et sont assez violents – ils attaquent régulièrement les dominicains prêcheurs sous prétexte de controverses philosophiques –
ces rixes sont surtout liées à un problème de fond : il s'agit pour l'université d'affirmer son indépendance aussi bien face au pouvoir local que face à celui de l'évêque, afin, entre autres, de décider de l'organisation des universités. L'enjeu final est d'obtenir l'indépendance face à l'évêque de Paris pour n'avoir de compte à rendre, en matière d'enseignement, qu'au roi et au pape.
À la redécouverte du savoir antique
Le savoir qui se déploie autour des universités est, en effet, source d'un enjeu politique. Les immenses connaissances accumulées sous l'Antiquité avaient été perdues lors des invasions barbares.
Après cinq siècles d'obscurantisme, l'Europe redécouvre une partie de ses connaissances (notamment à travers les livres d'Aristote) par le biais des musulmans.
Ainsi, au XIIe siècle, il n'y avait pas encore d'université mais des écoles épiscopales avec un maître recevant une prébende pour enseigner. Il existait également des maîtres indépendants dispensant leur savoir contre une rétribution fournie par leurs élèves. À Paris, ces écoles indépendantes sont extrêmement courues : elles sont à l'origine de la création de l'université.
Saint-Louis défenseur du savoir
Très vite, Philippe Auguste puis Saint-Louis comprennent l'importance pour la monarchie de favoriser l'émergence d'une université de haut savoir. Ainsi, en 1229, après une rixe particulièrement violente entre étudiants et bourgeois, et alors que Blanche de Castille veut se montrer ferme contre les étudiants, le roi intervient en faveur de ces derniers. Il décide de payer lui-même l'amende pour les violences subies par les étudiants de la part des sergents royaux et, surtout, reconnaît l'autonomie de l'université.
Guillaume de Nangis témoigne ainsi de l'importance, pour le roi, de préserver l'université en son royaume : "Quand le roi vit que cessait à Paris l'étude des lettres et de la philosophie par laquelle les trésors de l'intelligence et de la sagesse sont acquis, ce qui vaut plus que tous les autres trésors, et qu'elle était partie de Paris […], le roi doux et débonnaire fut très inquiet et eut grand peur que de si grands et si riches trésors ne s'éloignassent de son royaume car les richesses de saluts sont pleines de sens et de savoir et parce qu'il ne voulait pas que le Seigneur le lui reprochât : Parce que tu as jeté et éloigné science de ton royaume, sache que tu t'es éloigné de moi…" Enfin, la monarchie capétienne tient aussi à l'université pour la formation de son administration, tant laïque que civile.
Un messager de l'Université (reconnaissable à la pique qu'il tient) apporte de l'argent et des nouvelles de leur famille aux étudiants étrangers. Enluminire tirée du Livres des conclusions, nation de Picardie, fin du XVe siècle.
Document conservé aux archives de la Sorbonne
La création de la Sorbonne
Pour loger les étudiants qui se pressent en masse vers ce lieu de savoir, il faut créer des maisons d'hôtes ou des pensions de famille. Peu à peu, ces endroits deviennent des lieux d'étude. Le plus célèbre de ces collèges est celui de Sorbon fondé en 1257-1258 par Robert de Sorbon (1201-1274), chapelain et confesseur de Saint-Louis. Il a obtenu du roi la jouissance d'une maison sise rue Coupe-Gueule (actuelle rue de la Sorbonne) qui offre le gîte et le couvert aux "pauvres maîtres et étudiants" désireux d'étudier la théologie. Très vite, ces collèges deviennent le cadre des disciplines universitaires de Paris et le collège de Sorbon, une célèbre faculté de théologie, la Sorbonne – qui prendra une part active aux débats philosophiques et politiques de son temps. Des ateliers de copistes s'installent dans le quartier ainsi que des parcheminiers (rue de la Parcheminerie) qui fournissent aux étudiants le matériel nécessaire.
Le roi Louis IX remet l'acte de donation de l'emplacement du collège de Sorbonne à Robert de Sorbon
Par cet acte, Louis IX, en février 1257, déclare avoir donné au chanoine Robert de Sorbon, la maison ayant appartenu à Jean d'Orléans, rue Coupe-Gueule, devant le palais des Thermes (aujourd'hui musée nationale du Moyen Âge), afin qu'à l'avenir elle serve pour des écoliers qui y demeureront.
Le grand sceau de l'Université de Paris
Une vierge en majesté, tenant son Fils sur ses genoux, préside aux destinées de la jeune université éclose
à l'ombre de Notre-Dame, et dont l'évêque de Paris, représenté mitré, assume la responsabilité morale, tout en étant le garant des études comme chancelier. Autre intervenant, plus discret mais essentiel, la monarchie : deux fleurs de lys figurent derrière le prélat. La silhouette qui lui sert de vis-à-vis est l'allégorie de la science, ce savoir-penser supérieur que l'étudiant acquiert dans les écoles rassemblées au sein de l'université. Deux professeurs, assis sur une chaise ou cathèdre, sont précisément en train de commenter un ouvrage classique, ouvert devant eux sur un pupitre ; en dessous, d'une taille inférieure au moins de moitié à la leur, deux groupes de deux écoliers, assis à même le sol, les écoutent et prennent des notes, tandis que deux étudiants, peut-être plus avancés en âge, méditent chacun sur le livre ou le rouleau qu'ils tiennent devant eux.
Telle se déroule chaque jour ouvrable la vie sur les flans de la Montagne-Sainte-Geneviève. Elle comporte une part d'oralité – la parole du maître expliquant avec sagacité les vérités de la foi et les modes de raisonnement qui permettent d'y accéder en éclairant le texte divin. En même temps, elle participe à la civilisation de l'écrit, puisque la prise de notes est de règle et que le livre demeure le premier outil du travail personnel demandé à chaque membre de la communauté universitaire.
Partager cet article :
Écrire commentaire