L'ORDRE DU TEMPLE SACRIFIÉ

Philippe IV le Bel avec fleur de lys et bâton de justice, miniature extraite du recueil des rois de France de Jean de Tillet (XVIe siècle).
Philippe IV le Bel avec fleur de lys et bâton de justice, miniature extraite du recueil des rois de France de Jean de Tillet (XVIe siècle).

Fervent catholique malgré ses heurts avec la papauté,

Philippe IV dit le Bel tient les Blancs Manteaux en haute estime. Il l'a rappelé lors de la gratification qu'il leur a faite en 1304. Pourtant, au fil des mois, Guillaume de Nogaret, son conseiller, va parvenir à faire germer le soupçon, puis l'inquiétude. Bientôt, le roi, troublé, cherche les moyens, sans attenter à l'existence de l'Ordre, de le placer sous son contrôle.

 

D'abord en demandant à lui être affilié à titre honorifique. Mais cela gênerait le grand maître et il se heurte à un refus courtois. Alléguant que les ordres religieux militaires n'ont plus de raison d'être, Philippe IV suggère au pape Clément V de fondre les chevaliers de Saint-Jean et les Templiers en une seule « religion »et de prévoir dans les statuts de ces nouveaux Chevaliers de Jérusalem que le grand maître soit choisi parmi les princes français. Nouveau refus de Jacques de Molay, qui souligne les divergences de règle. Clément V est obligé de l'admettre ; Philippe IV, lui, est déçu, et plus perméable désormais aux conseils de Nogaret qui paraît, pour d'obscures raisons, haïr le Temple. Une sordide affaire de droit commun lui fournit les armes dont il a besoin pour perdre les Blancs Manteaux.

 

En 1303, le commandeur de Montfaucon, Esquin de Floyran, chassé de l'Ordre pour apostasie et sodomie, a poignardé le commandeur de Mont-Carmel, responsable de son renvoi. Pour échapper à une sentence de mort, Floyran réclame l'aide de Nogaret. Celui-ci le fait emprisonner à Toulouse, en compagnie d'un assassin auquel on promet la vie sauve s'il extorque à l'ancien Templier des confidences exploitables contre l'Ordre. Floyran se confesse, en effet. Il n'y a plus qu'à transformer les errances d'un seul en crimes de tous…

Proposition de fusion des deux Ordres - Templier (à droite) et Hospitalier (à gauche) - Le roman de Renart
Proposition de fusion des deux Ordres - Templier (à droite) et Hospitalier (à gauche) - Le roman de Renart

 

Philippe IV croit-il à la culpabilité du Temple ? C'est possible. Il laisse Nogaret organiser une campagne de diffamation, relayée par les trouvères, forains et aubergistes, destinée à préparer l'opinion publique à une action contre les Chevaliers du Temple.

Toujours sous le prétexte d'une possible fusion entre le Temple et l'Hôpital, les deux grands maîtres sont convoqués par le pape. Seul Molay, alors à Chypre, commet l'erreur d'obéir et débarque en Provence, entouré d'un faste oriental d'un effet désastreux, accréditant les rumeurs d'infidélité à l'idéal des fondateurs. Venu réitérer son opposition à la fusion, Molay se voit jeter au visage les accusations portées contre l'Ordre. Stupéfait, il demande spontanément

au pape, le 24 août 1307, l'ouverture d'une enquête.

Il ignore qu'il se jette dans la gueule du loup.

Entouré des honneurs dus à son rang, ceux réservés aux princes du sang, Molay assiste, le 12 octobre,

aux obsèques de Catherine de Valois, belle-sœur du roi, lequel lui fait mille grâces. Comment se douterait-il que Philippe IV, le 14 septembre précédent, a signé en l'abbaye de Maubuisson, l'ordre d'arrestation de tous les Templiers du royaume et qu'il a, le 23, nommé Nogaret chancelier à la place de l'évêque de Narbonne, opposé à ces mesures ? Ce même 12 octobre au soir, tous les baillis décachettent les ordres reçus depuis plusieurs jours qui leur enjoignent de se rendre à l'aube du 13 dans les commanderies de leur ressort, pour procéder à l'arrestation immédiate de tous les frères présents, dresser l'inventaire des biens, pourvoir à l'entretien des domaines agricoles, puis procéder à un interrogatoire dont les questions sont fournies et tenir procès-verbal des réponses. Le recours à la torture est autorisé, sans limite, ce qui est contraire au droit ecclésiastique. Forts de leur innocence, les Templiers se laissent partout arrêter sans la moindre résistance.

À Paris, Nogaret procède en personne à l'interpellation de Molay et des cent trente huit frères de la capitale.

Prétextant agir à la demande du grand inquisiteur de France, son confesseur, donc à celle du pape, Philippe IV rend public le 14 octobre les chefs d'accusation : reniement du Christ et crachats sur la Croix, suivis de pratiques homosexuelles lors de la réception dans l'Ordre, sodomie, vénération d'une figure diabolique.

Tissu d'invraisemblances quand on songe que sodomie et apostasie sont précisément les deux pêchés qui font renvoyer de l'Ordre et que l'attachement de ces hommes à leur foi est tel qu'ils ont toujours préféré le martyre à la conversion à l'islam. De cela, vingt mille Templiers tombés pour la Terre sainte sous l'étendard baucéant ont rendu témoignage.

Torture du sabot.
Torture du sabot.

Ce 13 octobre 1307, nul ne paraît s'en souvenir. Ce qui compte, en ces interrogatoires menés contre le droit, par les agents royaux et non par les inquisiteurs, est de donner corps aux accusations, pas de connaître la vérité. Et pour cela, tous les moyens sont bons : l'estrapade, où l'on suspend le supplicié à un treuil avant de le laisser retomber à demi disloqué ; le chevalet qui étire les membres ; la calcination des pieds enduits de graisse enflammée ; les brodequins qui broient les jambes ; les tenailles ; l'arrachage des dents ; la suspension par les testicules ; les ongles arrachés, les doigts éclatés… Tout y passe, au point qu'une trentaine de frères meurent sous la question. Mais ces gens sont durs à la douleur.

Beaucoup se taisent. Pour les faire fléchir, on les prive de la messe et de sacrements. C'est cela, plus que la torture, qui a raison de leur résistance.

Bûcher de Jacques de Molay et de Geoffroy de Charnay, le 18 (ou 11) mars 1314.
Bûcher de Jacques de Molay et de Geoffroy de Charnay, le 18 (ou 11) mars 1314.

 

Quelle valeur accorder à ces aveux incohérents et contradictoires ? Aucune. L'épuisement physique, la souffrance morale, la stupeur d'apprendre que le grand maître et les hauts dignitaires « ont avoué », explique ces « confessions » auxquelles l'opinion publique va prêter foi. Le pape, non… mais, trop inféodé au roi de France, il ne lui oppose qu'une résistance de principe. Le 25 mars 1308, Philippe convoque les états généraux à Tours, obtient de leurs délégués une déclaration lui donnant raison contre le pape pour le cas où celui-ci tenterait de défendre les Templiers. Clément V s'en garde.

 

Des tribunaux de commissions diocésaines sont mis en place pour juger les frères emprisonnés. D'après leurs conclusions, un concile jugera s'il faut réformer l'Ordre, l'absoudre ou le supprimer. Dans

le même but, une commission pontificale tente de faire traîner la procédure. En vain. Dès ses premières audiences, le 22 novembre 1309, il est évident que Nogaret veut empêcher les frères de venir témoigner. S'il parvient à imposer le silence à Molay, il ne peut faire taire neuf cents chevaliers qui clament d'une seule voix : « Tout est faux là-dedans et innommable !». Le frère Pierre de Bologne dépose le 7 avril 1310, un mémoire en défense, soulignant que les interrogatoires pratiqués ailleurs qu'en France ont tous

conduit à innocenter le Temple, et réclamant, conformément au droit de l'église,

que les laïcs, représentants du roi, soient écartés des interrogatoires.

Bizarrement, le 13 mai, frère Pierre de Bologne disparaît…

Quiconque veut défendre l'Ordre se condamne à mort.

 

Peu importe, dans ces conditions, que le concile de Vienne d'octobre 1311, réunissant de nombreux prélats étrangers indifférents aux ordres de Philippe le Bel, blanchisse les Templiers. L'arrivée du roi qui s'invite à Vienne le 20 mars 1312, y met un terme rapide. Par la bulle Vox in Exelso, Clément V dissout l'Ordre et remet ses biens aux Hospitaliers.

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