LA CUISINE AU MOYEN ÂGE

 

Exposition jusqu'au 03 avril 2013

Dans cette exposition, le visiteur découvre l’univers des cuisines à la fin du Moyen Âge.

A travers une iconographie inédite, tout y est évoqué : de l’architecture à proprement parler à la décoration des mets en passant par le personnel de cuisine, les produits, les objectifs recherchés, sans oublier les techniques culinaires propres à satisfaire le goût médiéval.

 

Texte de Danièle Alexandre-Bidon, historienne, ingénieur d’études à l’EHESS

Commissaire d’exposition

Cuisines et dépendances

  

Pour s’approvisionner, les particuliers se rendent sur la ceinture verte entourant la ville pourvue en céréales, choux, raves, navets , fèves, vignes.

Aux portes de Paris, se trouve aussi le bétail arrivant sur pied pour être vendu aux boucheries de Saint- Germain, du Châtelet, de Sainte-Geneviève.

Dans la demeure, l’espace culinaire va du simple coin-cuisine aux grands laboratoires avec four, cheminées à crémaillère et alambics, des foyers au ras du sol (en France ou en Italie) aux soles surélevées (dans les pays germaniques).

Dans les palais, la cuisine est souvent isolée du reste des bâtiments par crainte des incendies. Les grands nobles disposent de véritables complexes culinaires comprenant un vivier, un poulailler, des lieux de stockage, une aire de boucherie, en plus des potagers et vergers. Les cuisines monastiques figurent parmi les mieux équipées. Elles font elles-aussi partie d’un vaste complexe culinaire destiné à couvrir tous les besoins (granges, jardins, pêcheries, moulins, brasserie...).

 

Outre la cuisine, l’espace de stockage est très important. Les réserves doivent permettre de tenir au moins une année en cas de famine ou de guerre. Elles peuvent occuper avec la cuisine tout le rez-de-chaussée qui chauffe alors le premier étage dévolu à l’habitation (maison forte de Bretoncelles).

 

Mais, au Moyen Âge, tout le monde ne dispose pas d’une cuisine. C’est pourquoi, à l’extérieur, les professionnels de l’alimentation proposent des plats à emporter ou bien une restauration sur place. C’est ainsi que les “fourniers” cuisent depuis leur four mobile posé sur une charrette à bras des petits pâtés, des oublies, et les “chair cuitiers” des saucisses. Le boulanger, quant à lui, propose du pain mais aussi du vin que l’on peut aussi déguster sur place. Chez les aubergistes, il est facile de déjeuner sur le pouce d’une « carbonée » (lamelle de lard sur une tranche de pain).


Cuisson d'entrailles
Cuisson d'entrailles

Dans l’antre du cuisinier

 

Le personnel, comme l’espace culinaire, diffère suivant le milieu social.

Dans les milieux modestes,c’est la femme qui occupe la fonction de cuisinière.

Dans les palais, les offices son réservés aux hommes.

Le cuisinier en chef ou “maître queux ” dirige toute une équipe de queux, hâteurs (ou rôtisseurs), sauciers, tourne-broches, souffleurs, récureurs de pots, galopins...

Pas moins de soixante-dix personnes peuvent travailler sous ses ordres. Il est aussi chargé de concevoir et goûter les mets, de maintenir l’ordre, la propreté et d’assurer l’approvisionnement.

Pour la préparation des mets, il s’appuie sur des traités culinaires ou de médecine et possède aussi une solide expérience qu’il peut transmettre par écrit : les premiers livres de recettes apparaissent en Occident au cours du XIIIe siècle. L’un des plus fameux est Le Viandier de Guillaume Tirel dit Taillevent, cuisinier des rois Philippe VI de Valois, Charles V et Charles VI.

Dans ces ouvrages, les mots définissant les mets ne sont pas les mêmes qu’aujourd’hui : le “potage” désigne tout ce qui cuit dans un pot, la “soupe” est un bouillon riche en vin dans lequel on trempe des mouillettes de pain...

Le maître queux dispose d’une batterie d’ustensiles variés pour bouillir, cuire à l’étouffée ou frire ses mets : grand chaudron suspendu à une crémaillère pour la cuisson des viandes, pots de terre pour les bouillons et les laitages, poêles et poêlons de cuivre, plats à tarte, grils et broches, lèchefrites pour récupérer le jus de cuisson sous les broches. Un évier, des seaux d’eau sont également nécessaires pour laver le matériel, les ingrédients et maintenir la cuisine propre...

Pain de fleur de froment (pain blanc)
Pain de fleur de froment (pain blanc)

Au rythme des saisons

 

Le pain est « l’aliment roi ». Sans sel, au froment pour

le riche, de seigle pour le pauvre, il est consommé sous différentes formes et entre dans nombre de recettes

(la mie sert de liant, le pain grillé de colorant…).

Le vin jeune et faiblement alcoolisé est la boisson courante, par crainte de boire de l’eau polluée. Il entre dans la préparation des bouillons.

La fin du Moyen Âge est une période où la consommation de viande (surtout de boeufs, de mouton ou de porc) atteint des niveaux records. Selon le Mesnagier de Paris,

on consomme chaque semaine à Paris 3080 moutons,

514 boeufs et 600 porcs à la fin du XIVe siècle !

Cependant, les morceaux choisis ne sont pas les mêmes suivant les catégories sociales. La noblesse est friande d’animaux jeunes de viandes rôties ou grillées, de volailles tandis que la masse des paysans doit se contenter de plats bouillis. Lait, oeufs et fromages sont aussi consommés en abondance. Un bon fromage doit sentir fort comme Lazare !

 

Un jour sur trois, l’Église prescrit de “faire maigre”: seuls les poissons et les légumes sont permis. Tandis que les nobles se délectent de poissons variés et frais (turbot, carpe, dauphin), le reste de la population se nourrit de poissons séchés ou fumés (hareng, morue).

Les végétaux sont hiérarchisés selon leur position par rapport à la terre. Les légumes, proches du sol

sont ainsi jugés inférieurs à tous les autres ingrédients. Les nobles ne les apprécient pas. Cependant, ils sont indispensables dans la préparation des bouillons, potages et porées. Les fruits entrent dans la composition des mets et des sauces. Crus, ils sont également consommés en début de repas pour ouvrir l’appétit.

Secs, ils sont présentés à la fin du repas au moment de la “desserte”, sous forme par exemple de tourtes à étages.

Les fleurs servent à aromatiser et à colorer les mets (pétales de rose dans les sauces, violettes dans les omelettes...).

Les épices, quant à elles, caractérisent la cuisine noble. Vendues par les apothicaires puis utilisées dans les sauces, les gâteaux et les boissons, elles sont très appréciées pour leurs saveurs, leurs propriétés colorantes et sont censées favoriser la digestion. Ainsi, dans Le Mesnagier de Paris, célèbre ouvrage comprenant des recettes de cuisine, trouve-t-on du “veau rôti à la sauce cameline” (sauce imitant la couleur des poils de chameau, à base de cannelle et de gingembre très appréciée au XIVe siècle). Curieusement, certaines herbes ne sont pas utilisées (thym, estragon, ciboulette).

Viande salée et séchée
Viande salée et séchée

Manger pour vivre ou vivre pour manger ?

 

Un premier objectif est la recherche d’une certaine sécurité alimentaire en suivant trois principes : fraîcheur des aliments, utilisation d’une eau propre (de préférence eau de pluie, de fontaine ou de source), mets ébouillantés avant d’être cuisinés. Différentes techniques sont utilisées pour mieux conserver les aliments : salaison, fumage, séchage, immersion dans du miel ou du vinaigre.

Le second objectif est diététique. Il vise un équilibre entre les quatre humeurs inhérentes à l’homme : bile jaune ou mélancolie, sang, phlegme et bile noire ou humeur colérique. Celles-ci résultent des différents mets consommés, eux-mêmes, classés en quatre catégories : “chauds”, “froids”, “secs”, “humides”. Les humeurs varient en fonction de l’âge et de la constitution. Des régimes particuliers sont donc composés aussi bien pour les enfants que les femmes enceintes ou même les voyageurs.

Les cuisiniers doivent aussi tenir compte des préceptes religieux, qui imposent par exemple de ne pas manger de viande un bon tiers de l’année. Pour satisfaire les palais délicats des nobles, ils doivent faire preuve d’imagination (civet d’huîtres, fromentée au marsouin, écrevisses au vinaigre) et n’hésitent pas à transformer le poisson en viande (esturgeon contrefait de veau).

Le goût l’emporte sur les prescriptions médicales et tend en France vers une saveur acide et aigre-douce, d’où l’utilisation dans les sauces de “verjus” (jus de raisin cueilli vert).

Malgré toutes ces obligations, des libertés sont prises avec les impératifs diététiques ou religieux, afin de profiter des plaisirs du goût et de la chair. La littérature et les enluminures médiévales, remplies de métaphores sexuelles, en témoignent.

Sirop
Sirop

La chimie culinaire

 

En cuisine, chaque détail compte. Pour travailler le goût, on utilise différentes essences de bois comme combustible et comme contenant : broches en genévrier pour les volailles, branchettes de noisetier pour les boulettes de viande, boites en if pour les épices. Les pots en terre sont également appréciés car ils donnent une saveur douce qui convient aux sauces, aux gelées, aux “porées” (ou purées) et potages.

 

Le cuisinier se méfie des métaux : le vert-de-gris du cuivre donne mauvais goût aux laitages, l’airain noircit les mets.

Le bronze, par contre, très apprécié, sert à la fabrication

des chaudrons.

Le secret de la cuisine médiévale réside dans la succession

des cuissons (mets ébouillantés puis grillés, fris ou rôtis), la multiplicité des ingrédients et la préparation de sauces toujours légères, aux saveurs multiples.

Pour la “vinaigrette”, par exemple, recette sans vinaigre à base de foie de porc, un fond de bouillon de boeuf ou de mouton s’ajoute au vin clairet pour enrichir le goût. Pour les temps de cuisson, à défaut de sablier,

on utilise un chapelet. La durée est ainsi calculé en temps de prière !

Avant d’être présentés aux tables des festins, les mets sont teintés grâce à des colorants végétaux

et décorés.

La couleur attise l’appétit et possède aussi une valeur symbolique. Le jaune est la couleur prédominante mais le vert est également très présent. Les couleurs se fabriquent à partir d’épices, de fleurs (fleurs de sauge),

de fruits (cerises écrasées), d’herbes (oseille, coriandre) et même de pain grillé.

Le cuisinier, maître dans l’art de masquer et déguiser, use alors de nombreux artifices pour offrir aux convives un plaisir gustatif mais aussi visuel, la pièce maîtresse étant, dans les grands banquets, l’entremet.

Présenté sous plusieurs formes, c’est entre autres un plat pour lequel le maître queux a déployé tous ses talents, ceci afin de mettre en valeur la richesse du maître de maison : tourtes en forme de châteaux miniatures, monstres avec deux moitiés d’animaux cousus ensemble, bosquets d’où s’échappent des oiseaux vivants...

À travers la cuisine, c’est tout l’imaginaire qui s’exprime.

Tour Jean sans Peur

20 rue Etienne Marcel - 75002 Paris

 

www.tourjeansanspeur.com

(site en reconstruction)

BnF - Gastronomie médiévale

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