BRÉVIAIRE D'ISABELLE LA CATHOLIQUE

Bréviaire d'Isabelle la Catholique. The British Library - Londres.
Bréviaire d'Isabelle la Catholique. The British Library - Londres.

Cet étonnant manuscrit fut conçu comme le plus luxueux des bréviaires flamands ; chacune de ses pages a été magistralement enluminée par les meilleurs peintres de Flandre dans le but d’obtenir un manuscrit d’une beauté

et d’une somptuosité inégalables.

 

Isabelle la Catholique reçut le manuscrit peu avant 1497, des mains de son ambassadeur Francisco de Rojas, afin de commémorer le double mariage de ses enfants, Jean et Jeanne, avec ceux de l’empereur Maximilien d’Autriche et de la duchesse Marie de Bourgogne, Marguerite et Philippe et les grands succès de son règne : découverte

de l’Amérique, conquête du royaume de Grenade…

BLASON DES ROIS CATHOLIQUES AU CÔTÉ DE CELUI DE LEURS ENFANTS

ET DE LEURS BEAUX-ENFANTS.

f. 436v. - The British Library - Londres.
f. 436v. - The British Library - Londres.

Le blason des Rois Catholiques occupe tout l’espace

de cette impressionnante miniature sur fond mauve.

La présence imposante de l’aigle de saint Jean ne s’explique pas seulement par le fait qu’Isabelle ait été couronnée le jour de la fête dudit saint ; la présence

de l’aigle – élément du tétramorphe – de l’Apocalypse renvoie à la grande dévotion qu’elle avait pour saint Jean l’Evangéliste. Encore adolescente Isabelle avait fait part de son désir de voir cet aigle porter son blason personnel, comme le prouve un dessin esquissé par elle et daté du

15 mai 1473 (Madrid, RAH, Co. Salazar y Castro, K-37, f. 112v).

 

Le fait qu’elle ait appelé Jean son unique enfant mâle et Jeanne sa seconde fille participe de cette même dévotion.

Dans cette enluminure, la tête de l’aigle est flanquée de deux phylactères dans lesquels on peut lire : sub umbra alarumtuarum protege nos (à l’ombre de tes ailes protège-nous). Sous le blason serpentent trois autres phylactères, dans lesquels deux psaumes se trouvent cités :

 

Pro patribus tuis nati sunt tibi fi lii. Constituisti eos principes super omnem terram (Ps 44, 17)

(Tes fils prendront la place de tes pères ;

Tu les établiras princes dans tout le pays)

 

Potens in terra erit semen eius : generatio rectorum benedicetur (Ps 111, 2)

(Puissant est le lignage de cette semence sur la terre : bénie soit la génération des justes)

 

Ces deux citations s’avèrent particulièrement éloquentes si l’on considère l’énorme signification politique du Bréviaire. À une époque où l’Amérique venait d’être découverte, les deux enfants des Rois Catholiques, en épousant les enfants de Maximilien d’Autriche et de Marie de Bourgogne, se retrouvaient presque de facto « princes de toute la terre ». Cette image du blason, concrètement, est un splendide hommage au couronnement d’une très importante stratégie politique menée à bien à travers ce double mariage.

Les blasons contre-écartelés de dessous sont ceux des couples constitués par les époux. Ceux des princes espagnols sont sont identiques à ceux des Rois Catholiques ; ceux de la dynastie des Habsbourg sont écartelés avec écusson.

f. 437r - The Bristish Library.
f. 437r - The Bristish Library.

APOLOGIE DU COURONNEMENT DE LA REINE ISABELLE

 

Le couronnement de la Vierge

 

L’enluminure est l’oeuvre de Gérard Horenbout. L’aspect le plus remarquable est son caractère symbolique, car, au-delà de tout ce qui peut être contenu dans les images d’un bréviaire, l’importance du couronnement de la Vierge vient du fait qu’il constitue une apologie du couronnement d’Isabelle elle-même. À la mort de son frère Henri IV de Castille, le 11 décembre 1474, Isabelle s’autoproclame reine le jour-même, s’opposant à sa nièce Jeanne la Beltraneja dans une guerre civile qui allait durer quatre ans.

 

La peinture montre la Très Sainte Trinité couronnant Marie : le Père et le Fils partagent le même trône, tous deux portent des sceptres et tiennent

la couronne ; entre eux, au-dessus du trône, se trouve le Saint-Esprit sous la forme de la colombe.

 

Sur l’encadrement décoratif, dans l’inscription en lettres dorées sur fond marron, Francisco de Rojas offre le codex à la reine :

Diue Elisabeth,

Hispaniarum et

Siscilie (sic) Regine, etc.

christianissime, potentissime, semper

auguste, supreme domine

sue clementissime

Franciscus de Roias,

eiusdem maiestatis

humilimus seruus ac

creatura, optime

de se merens

breuiarium hoc ex

obsequio obtulit.

A la divine Isabelle,

Reine des Espagnes

et de Sicile, sa suprême dame

la plus chrétienne, puissante,

toujours auguste

et plus clémente,

Francisco de Rojas,

son humble serviteur

et créature de cette même majesté,

qui mérite le meilleur,

lui offre ce bréviaire.


À n’en point douter le Bréviaire fut un cadeau splendide, le plus beau qu’on puisse offrir, non seulement pour la qualité technique et artistique de ses illustrations, mais aussi pour sa signification politique et parce qu’il constituait le meilleursymbole de l’aboutissement d’un projet politique à échelle mondiale.

Des miniatures comme celle du couronnement illustrent, d’un côté, l’importance pour Isabelle des faits survenus après la mort d’Henri IV – ses efforts pour obtenir la couronne et grand désir de reconnaissance de la part de ses sujets –, mais aussi les irrépressibles désirs d’unification de la péninsule ibérique qui caractérisèrent son règne.

f.173r. - The British Library.
f.173r. - The British Library.

APOLOGIE DE LA CONQUÊTE DE GRENADE EN 1492

 

Abraham délivre Lot et il est récompensé par Melquisedec

 

Cette peinture illustre le psaume 109 et elle peut être comprise comme la protection de Dieu et une préfiguration du Messie comme roi et prêtre. Dans le haut, la Très Sainte Trinité apparaît de façon peu habituelle : Dieu le Père, à droite, avec une tiare papale, tient l’orbe, tandis que Dieu le Fils, à gauche, en habits de guerrier, porte la couronne impériale du Saint-Empire Romain Germanique. Au lieu de l’habituelle colombe renvoyant à l’Esprit Saint, entre les deux figurent les Saintes Ecritures.

 

Dans le bas se déroule une scène de bataille, telle qu’elle est racontée dans la Genèse (14, 14-16), qui montre Abraham

– au centre –, avec un casque et un plastron dorés, terrassant un des rois partisans de Kedorlaomer, qui détiennent prisonnier son neveu, Lot. Ce dernier apparaît représenté à droite de la composition, portant la barbe et tête baissée, les mains attachées, avec l’inscription « lod » sur son casque.

Les partisans d’Abraham luttent contre trois autres rois et

leurs armées. Au second plan est montrée la suite du récit précédent : la bénédiction d’Abraham – représenté comme le premier chevalier de la bataille, sur lequel on lit une inscription dorée « abraha[m] » – par Melchisédech – désigné par l’inscription « melchisedech » –, roi de Salem et prêtre suprême, représenté avec une tonsure, du pain dans la main droite et un récipient de vin dans la gauche. Au fond, une armée, de laquelle se détachent quatre personnages

à cheval, sort d’une ville fortifiée et représente, probablement, les quatre rois qui ont fait prisonnier Lot quand il

a quitté Sodome.

 

La référence à la nécessité de recourirà la force militaire pour assurer la pureté et la stabilité de la foi chrétienneest certainement l’aspect le plusremarquable de cette peinture, qui figure sans doute comme une puissante justification de la conquête de Grenade en 1492. L’importance historique de ce fait est énorme, non seulement pour ce qu’il laisse supposer après huit siècles d’occupation islamique de la péninsule ibérique, mais encore dans une Europe chrétienne qui redoutait la proximité du puissant Islam.

 

f. 3v. Calendrier Mai.
f. 3v. Calendrier Mai.
f. 5r. Calendrier Août
f. 5r. Calendrier Août

f. 111v. Nabuchodonozor préside l'incendie des livres.
f. 111v. Nabuchodonozor préside l'incendie des livres.
f. 252r. La parabole du mauvais riche et du pauvre Lazare.
f. 252r. La parabole du mauvais riche et du pauvre Lazare.

f. 146v. David et les chanteurs du Temple.
f. 146v. David et les chanteurs du Temple.
f. 354r. L'Annonciation et l'arbre de Jessé.
f. 354r. L'Annonciation et l'arbre de Jessé.

f. 412v. Saint Jacques.
f. 412v. Saint Jacques.
f. 309r. Saint Jean l'Évangéliste.
f. 309r. Saint Jean l'Évangéliste.

Partager cet article :