ven.
24
mai
2013
ATLAS VALLARD - MAISON D'ÉDITION MOLEIRO
Dans le Nord de la France, la prolifique école de Dieppe créa certains des atlas avec les décorations marginales les plus innovatrices et belles. L’Atlas Vallard, qui s’inscrit dans cette école cartographique, présente un composant portugais clair, soit par son cartographe (anonyme) ou par le modèle qui l'a inspiré, d'après l'influence portugaise de la toponymie. Tout comme l'Atlas Miller, une de ses caractéristiques plus remarquables sont ses enluminures, qui reflètent des scènes d'épisodes de la colonisation qui eut lieu au XVIème siècle, ainsi que nombreuses illustrations de la vie de la population autochtone.
L’atlas commence avec un texte d’introduction sur le régime du soleil, suivi d’un calendrier. L’atlas du monde se compose des 15 cartes nautiques suivantes, orientées avec le Sud en haut :
1. « Terra Java » (côte est de l’Australie ?)
2. « La Jave » (côte du nord de l’Australie ?), une partie de l’Asie et l’Insulinde
3. « Terra Java » (côte ouest de l’Australie ?)
4. Golfe Persique et la Mer Rouge
5. Afrique du Sud et Madagascar
6. Océan Atlantique, côtes de l’Afrique et du Brésil
7. Nord-ouest de l’Afrique
8. Europe et nord de l’Afrique
9. Amérique du Nord et Canada (côte est)
10. Amérique Centrale
11. Caraïbes et le Brésil
12. Amérique du Sud : Río de la Plata et détroit de Magellan
13. Europe et le Nord de l’Afrique
14. Mer Adriatique
15. Mer Égée
La nomenclature est écrite en minuscule à l’encre noire et rouge, avec de l’or pour les zones géographiques ; les délimitations de terre ferme sont tracées en couleur et les îles peintes en bleu, rouge ou en or.
De nombreuses roses des vents sur chaque carte et les usuels réseaux de 32 lignes de rhumbs en noir,
en rouge et vert pour les directions principales.
Les cartes 14 et 15 semblent avoir été réalisées par une autre main, puisque la technique cartographique et le style artistique sont différents. Le f. 1, sous une sphère armillaire, contient
l’inscription : « Nicolas Vallard de Dieppe, 1547 ».
Propriétaires :
Charles Maurice de Talleyrand-Périgord, Prince de Bénévent (1754-1838).
Il le vendît à Robert Triphook, Londres, 8 mai 1816, n. 3464.
Il le vendît à Henry Bohn, Evans, 29 mars 1833, n. 445.
David Steward Ker le vendît à Sir Thomas Philipps, Londres, 7 mai 1849, pt. IV, n. 791. « Philipps MS 13199 » noté dans les gardes II et III, et son ex libris au contre-plat supérieur à côté de la date « 1850 » et d’une inscription qui décrit le manuscrit.
Obtenu par des moyens privés par Henry E. Huntington par l’intermédiaire de A.S.W Rosenbach en 1924.
Extraits de trois cartes nautiques
Mer des Caraïbes et Brésil
La carte de la partie nord-est de l’Amérique du Sud est la seule carte du Nouveau Monde avec des marges illustrées des deux
côtés. Si les échelles de latitudes sont encore présentes, celles de distances ont disparu. L’espace de chaque marge latérale est occupé par une caryatide, debout sur un piédestal sur lequel
figure le blason de la famille Vallard. La femme de gauche porte sur la tête un panier de fruits et autres produits de la terre. En dessous des piédestaux figurent d’autres produits du Nouveau
Monde (courges, poivrons, grappes de muscadine, etc.). Ces arrangements décoratifs ont une dimension allégorique, représentant sans doute les richesses et promesses d’abondance des
Amériques.
Au large figurent deux navires, dont l’un présente trois voiles latines, et cinq roses des vents.
Sur le continent, se retrouve le double lac Maracaibo, mais l’Orénoque est toujours absent. De nombreux Indiens se battent, chassent, rassemblent du bois, travaillent dans des mines, sous le regard de six Européens dont certains sont armés, avec lesquels ils font commerce. Au village, les Indiens cuisinent, mangent ou se prélassent dans des hamacs. Tortues, oiseaux et félins abondent.
Côte orientale de l'Australie
Aujourd’hui que la priorité de la découverte portugaise de la côte occidentale africaine est devenue depuis longtemps un fait incontesté, ce n’est plus comme preuve de cette dernière que le témoignage de la présente œuvre est invoqué, mais plutôt comme indice d’une vague connaissance de l’Australie dans la première moitié du xvie siècle. Bien qu’on ne trouve pas de traces d’une telle rumeur ni dans les chroniques portugaises, ni dans la documentation des archives, ni même sur les cartes nautiques portugaises parvenues jusqu’à nous, le fait que l’Atlas Vallard appose des toponymes presque exclusivement portugais aux accidents géographiques des côtes de ce qui semble être le continent australien démontre à satiété qu’il fut copié de prototypes portugais aujourd’hui disparus.
Cela confère une plus grande vraisemblance à l’hypothèse que le vaste continent dessiné dans l’atlas, encore que très incorrectement, immédiatement au sud de l’Insulinde, tenterait bien de représenter l’Australie.
Il est possible que la trouvaille de l’Australie soit à mettre en relation avec la recherche de Pulo Mas (du malais Pulau Emas, « île de l’Or ») que l’on disait baigner quelque part au sud de Sumatra, avec des plages de poudre d’or au lieu de sable. Cette légende malaise a pu détenir un fond de vérité et résulter de vagues échos de l’existence de gisements aurifères dans la zone de Kimberley, au nord-ouest de l’Australie. Des pêcheurs ou des commerçants des îles les plus voisines, comme celle de Flores, qui se seraient aventurés jusque-là, auraient très bien pu trouver des pépites dans les sablières des rivières de la région ; de ce fait réel, accru par l’imagination populaire, serait né le mythe de Pulo Mas. Peut-être qu’un navigateur portugais, enthousiasmé par cette légende ou simplement dérouté par les vents, a vogué de Timor vers le sud, touchant ainsi les côtes australiennes. Au contraire du commerce du girofle des Moluques et de la noix muscade de Banda, le trafic du santal de Timor n’était pas un monopole royal et fut abandonné aux marchands privés, qui ne nous ont cependant pas laissé d’archives ; pour ce motif, il est impossible de déterminer quand et par qui la trouvaille eut lieu. Mais d’un autre côté, le continent australien a très bien pu être abordé par l’est par un navire castillan, détaché de sa flotte après le passage du détroit de Magellan, peut-être la caravelle San Lesmes de l’armada de García Jofre de Loaysa en 1526-27.
Amérique centrale et Antilles
La carte de la mer des Caraïbes et des régions du golfe du Mexique est d’une précision exceptionnelle pour l’époque. Dans ce
cas précis, elle puise ses origines dans la cartographie ibérique, et tout particulièrement espagnole, comme on peut le constater dans le tracé de la côte nord du Golfe du Mexique et de la
péninsule du Yucatán. Cette carte française, par sa grande exactitude, proclame la remise en question par le nord de l’Europe du monopole ibérique dans cette région du monde. L’orientation et les
échelles de latitudes et de distances sont très semblables à celles des cartes précédentes. Un grand poisson traverse le Pacifique ; des roses des vents et deux navires figurent dans le Pacifique
et l’Atlantique. Celui dans le Pacifique apparaît voiles baissées ayant jeté l’ancre juste en dessous de l’Équateur, tandis que, dans le coin inférieur gauche, juste en dessous du Tropique du
Cancer, l’autre navire fait chemin, toutes voiles déployées, magnifiquement représenté en perspective, vu de l’arrière. Dans la partie supérieure de la carte où se trouve l’Amérique du Sud, une
montagne fait peut-être référence à la cordillère des Andes et, bien que le fleuve Amazone soit présent, l’Orénoque n’est pas représenté, ce qui constitue une caractéristique de l’école de
Dieppe.
Des Européens (Portugais ou Espagnols) sont présents en Amérique du Sud, de part et d’autre d’un lac Maracaibo étrangement dédoublé. Les Indiens d’Amérique du Sud chassent et semblent travailler dans les mines pour les Européens tandis qu’en Amérique du Nord, certains chassent et d’autres, au nord de la ville
de Mexico sommairement représentée, semblent faire commerce entre eux. La représentation de Mexico rappelle la carte de Hernán Cortés de Temixtitan (Tenochtitlán) et de la côte du Golfe, publiée à Nuremberg en 1524. L’Amérique du Sud est également peuplée de cerfs et de deux types de félins.
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