CHASTEL-PÈLERIN - Athilit
Par son histoire, sa position quasiment sur la mer,
la puissance et la qualité de ses constructions, leur caractère tardif, enfin par les renseignements abondants sur sa construction, Chastel-Pèlerin occupe une place particulière parmi les grandes forteresses franques. En février 1218, le roi Jean de Brienne, avec le duc Léopold d'Autriche, des Templiers, des Teutoniques et des pèlerins, vont fortifier Césarée et Athlit. En ce qui concerne ce dernier site, les constructeurs vont choisir un des points les plus étroits du littoral, entre la mer et les derniers contreforts du Carmel, sur lesquels les Templiers, au XIIe siècle déjà, avaient élevé une tour dite des Détroits ou Pierre-Encise, car le rocher avait dû être creusé pour aménager la route. Ils vont utiliser le petit cap pour y installer leur forteresse.
Un chevalier flamand, Gautier d'Avesnes, paya une partie des travaux et se déclara le parrain du château auquel il donna le nom de Chastel Pèlerin (Castrum Peregrinorum). Sa garde fut confiée aux Templiers, qui entraient ainsi en possession d'une de leurs places les plus importantes. Les constructeurs, en creusant la roche, découvrirent des vestiges et des monnaies provenant d'une installation antique, ainsi que plusieurs sources d'eau potable.
Fait assez exceptionnel, grâce à Olivier le Scolastique de Cologne et son Historia Damiatina, témoin oculaire, et grâce au spirituel Jacques de Vitry, qui passait par là au moment des travaux, nous avons une relation précise des ces derniers. Olivier le Scolastique écrit : "Une haute et grande colline jaillit de la mer. Elle est fortifiée de par sa nature même des rochers au nord, à l'ouest, au sud. À l'est il y a une tour fortifiée, bâtie autrefois par les Templiers et restée entre leurs mains en temps de paix comme de guerre. Cette tour fut bâtie il y a très longtemps, à cause des pillards qui tendaient des embuscades sur l'étroit passage aux pèlerins de Jérusalem, à l'aller comme au retour. Cet étroit passage, à une certaine distance de la mer, s'appelle districtum."
La suite du récit recoupe exactement celui de Jacques de Vitry : "À peu près pendant tout le temps qui fut employé pour construire et terminer le fort de Césarée, les Templiers s'occupèrent à creuser la terre auprès de cette tour [Tour des Détroits] en face du promontoire : ils y travaillèrent sept semaines de suite et arrivèrent enfin aux premières fondations, où ils découvrirent une muraille antique, longue et épaisse. Ils y trouvèrent de l'argent en une monnaie inconnue aux modernes, et cet argent tourna au profit des chevaliers, enfants de Dieu le Père, et servit à les indemniser de leurs dépenses et de leurs fatigues. Ensuite, creusant en avant et levant le sable, ils trouvèrent une autre muraille moins longue, et dans l'espace qui séparait les deux murailles ils virent jaillir en abondance des sources d'eau douce. Le Seigneur leur fournit pour ces travaux une grande quantité de pierre et de ciment. On construisit en avant de la façade du château des Pèlerins deux tours en pierres carrées, bien polies et d'une telle dimension que deux bœufs pouvaient à peine en traîner une seule dans un char. Chacune des ces tours a cent pieds de long et soixante-quatorze pieds de large. Dans leur épaisseur elles contiennent des salles voûtées ; en hauteur elles s'élèvent et dépassent le niveau du promontoire. Entre les deux tours on a construit une haute muraille garnie de remparts, et, par une habileté admirable, il y a en dedans de la muraille des escaliers par où les chevaliers peuvent monter tout armés.Àpeu de distance des tours, une autre muraille s'étend d'un côté de la mer à l'autre et renferme dans son intérieur un puits d'eau vive. Le promontoire est enveloppé des deux côtés par une muraille nouvellement construite qui s'élève jusqu'à la hauteur des rochers. Entre la muraille du côté de midi et la mer sont des puits ayant de l'eau douce en abondance et qui en fournissent au château. Dans l'enceinte de ce même château on trouve un oratoire, un palais et un grand nombre de maisons".
Rey, en 1859, constate l'existence de nombreux vestiges, entre autres les tours barlongues mentionnées par Jacques de Vitry, dont celle du sud a presque disparu, ses fondements étant "couverts de cabanes qui forment le village moderne d'Athlit". Mais la courtine subsiste en partie, avec son revêtement entier près de la tour nord : "Jacques de Vitry n'a donc rien exagéré en parlant de la beauté des matériaux. Dans aucun des édifices élevés par les croisés durant le temps où ils furent maîtres de la Palestine, je n'ai rien vu, si ce n'est à Tortose, qui puisse être comparé à ces magnifiques pierres aux proportions colossales, taillées à bossage, avec des joints d'une régularité parfaite, cimentées avec de la chaux faite de coquille"
Deux ans plus tard Renan, qui examine le site à la recherche de vestiges antiques, phénicien surtout, écrit : "Je n'ai vu dans les constructions aujourd'hui apparentes d'Athlit rien qui doive être repoussé au-delà de l'an 1218".
Sa construction à peine achevée, le sultan Malik al-Muazzam, qui venait de s'emparer de Césarée, vint assiéger Athlit mais ne parvint pas à s'en emparer. Il revint deux ans plus tard, rasa la tour du Détroit que les chevaliers avaient démantelée et ravagea les alentours, puis creusa un fossé devant la forteresse, à l'abri duquel il installa un trébuchet, trois pierrières et quatre mangonneaux. Mais les Templiers, qui disposaient d'une garnison de 4000 hommes et recevaient des renforts depuis Acre et Chypre, étaient tout à fait capables de lui tenir tête. Leur artillerie, servie par 300 hommes, détruisit un trébuchet et une pierrière. Bientôt, les pertes des musulmans devinrent insupportables et, au bout d'un mois ils décidèrent de lever le siège. "Les Musulmans, écrit Deschamps, avaient subi de lourdes pertes : trois émirs, deux cents mamelouks, un grand nombre d'archers et de servants de machines étaient tombés sous les coups de l'artillerie franque. En un seul jour cent vingt chevaux de prix furent tués, dont le cheval d'un émir qui valait 14 000 drachmes. Une quantité d'autres chevaux et de chameaux furent tués pendant ce siège meurtrier".
Ce bilan démontre qu'une puissante forteresse, dotée d'une importante garnison, de machines de guerre, bien approvisionnée, était non seulement parfaitement en mesure de tenir tête à l'assaillant mais pouvait aussi l'obliger à lever le siège. Cette puissance attirait les convoitises. Lorsqu'en 1229 l'empereur Frédéric II vit la forteresse et ses équipements, il voulut en devenir le maître et intima l'ordre aux Templiers de déguerpir. Ceux-ci, bien entendu, refusèrent et se préparèrent à combattre. Sur quoi le souverain renonça à son projet. Athlit fut également témoin d'un heureux événement. La reine Marguerite de Provence, qui avait accompagné Saint Louis à la croisade, y accoucha d'un fils, le gouverneur de la place étant le parrain de l'enfant. Le 28 mai 1291, Acre, après une résistance de 53 jours, capitulait devant les Musulmans, suivi de Saïda, Beyrouth et Tortose. Les Templiers évacuèrent Chastel-Pèlerin le 14 août et se retirèrent à Chypre.
La formidable construction a beaucoup souffert des outrages du temps. En 1811 et 1816 Soliman Pacha en a extrait des pierres pour rénover les défenses d'Acre, imité en 1838 par Ibrahim Pacha. En 1837 un tremblement de terre détruisit une partie des vestiges.
En avant de la forteresse, une agglomération, qui s'était constituée après la construction de la place, était protégée par une muraille qui partait de la mer du sud au nord, puis partait à angle droit vers l'ouest, rejoignant la mer. Une grosse tour sur un monticule occupait l'angle droit. Le cap proprement dit était protégé par un glacis avec fossé, puis d'une muraille avec saillants barlongs, enfin de la muraille flanquée de deux puissantes tours, dont la construction a été évoquée par les chroniqueurs. Sur le mur intérieur on remarque des retombés d'ogive, la tour formant l'extrémité d'une grande salle voûtée. La cour au sud et au nord est fermée par des murailles, celle du sud étant bordée par des bâtiments. Dans la cour il y avait une chapelle dodécagone dont il reste presque rien et à l'ouest, non loin de la mer, les vestiges d'une tour ronde prolongée par une salle voûtée en croisée d'ogives relativement bien conservée. Des fouilles entreprises à partir des années trente par S. N. Jones se sont concentrées sur les murailles orientales du château et sur leurs alentours.
Tous les voyageurs ou archéologues se sont extasiés sur la puissance de la forteresse d'Athlit, à un exception près, T. E. Lawrence, qui écrit : "Le plan est tout simplement inintelligent, une resucée des vieilles idées de Procope, mais à moitié comprises […] Avec beaucoup de temps et de travail, n'importe qui peut faire un fossé aussi profond et un mur aussi haut avec des pierres si lourde qu'il en devient imprenable : mais une telle place est plus une prison pour ses défenseurs qu'un refuge : en réalité une stupidité. Ce qu'est Athlit". De son côté, Smail se rallie à cette opinion, en soulignant que "la valeur de la forteresse militaire […] n'est pas évidente". À ses yeux, la seule importance du château réside dans le fait qu'il était l'unique place entre Acre et Jérusalem, constituant un des éléments de la base d'opération du littoral pour la reconquête de la Ville sainte.
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