Procès-verbal d'interrogatoire des Templiers
emprisonnés dans l'enclos du Temple de Paris
(19 octobre – 24 novembre 1307)
Les interrogatoires menés par les agents de Philippe le Bel à la suite de l'arrestation du 13 octobre 1307 ne sont pas conservés en grand nombre. Ceux de Bayeux, Caen, Pont-de-l'Arche, Carcassonne, Cahors et Troyes livrent quelques noms, mais le procès-verbal de Paris donne à lui seul les aveux de 138 prisonniers.
Le rouleau se déploie sur plus de 22 mètres, réalisé en parchemin de chèvre, où a été retranscrite en latin, dans une écriture serrée, l'intégralité des interrogatoires auxquels ont été soumis en octobre 1307, les 138 "pauvres chevaliers du Christ et du Temple de Salomon" arrêtés à Paris sur ordre du roi Philippe le Bel. A la jonction de chacun des feuillets composant ce document inestimable, les signatures de quatre notaires royaux (Even Phily de Saint-Nicaise, Amis d'Orléans, Geoffroy Enguelor et Jacques de Vertus), ont été ajoutées aux ligatures de l'archive de façon que rien ne puisse être ni ajouté ni retranché qui ne soit visible. Conformément à ce qui se faisait à l'époque, il ne s'agit pas de la transcription intégrale des propos recueillis sur le vif au moment des interrogatoires, mais des minutes reformulées par la suite. Des dépositions recopiées au propre par les officiers du roi après que ces confessions ont été arrachées aux chevaliers de l'Ordre, les milites templi, souvent sous la torture.
Ces interrogatoires se sont déroulés entre le 19 octobre et le 24 novembre 1307 dans la salle basse du donjon du Temple de Paris, en présence de l'inquisiteur de France, Guillaume de Paris. Il interrogea lui-même les 37 premiers Templiers ; puis le dominicain Nicolas d'Ennezat prit le relais.
Le 9 novembre, Raoul de Gizy comparut. Il déclina son identité et fit des aveux complets. Il avait cinquante ans et était entré dans l'Ordre vers 1285 à l'âge de vingt-huit ans ; le visiteur Hugues de Pairaud, alors commandeur d'Épailly, dirigea sa réception dans la maison champenoise de Vallée. C'est là qu'il renia le Christ, peint sur une enluminure d'un missel qu'on lui présenta pour l'occasion ; il cracha aussi sur la croix. Plus encore, il avoua l'existence d'une idole que les frères adoraient en se prosternant devant elle ; cette "représentation du démon" lui inspirait la terreur la plus extrême !
Conservé aux Archives nationales dans le quartier du Temple, à Paris, ce document resta à l'abri de la Sainte Chapelle de Paris avec les archives du roi pendant près de cinq siècles. La "grosse tour" de l'enclos du Temple aujourd'hui disparue, se situait en plein cœur du domaine templier dans lequel les chevaliers avaient, pendant des années, défriché et assaini une zone de marécages insalubres où s'étend aujourd'hui le Marais. Là, ils avaient bâti une résidence fortifiée et une église, à l'instar de l'abbaye de Saint-Germain-des-Prés.
"Le fond que nous possédons ici est celui du grand prieuré de France de l'Ordre de Malte. Il réunissait les archives des Templiers et celles des Hospitaliers saisis pendant la Révolution. Ces documents s'étendent de 1130 à la disparition de l'Ordre au début du XIVe siècle", nous explique Ghislain Brunel, conservateur aux Archives nationales. Le grand prieuré de France gérait les domaines de l'Île de France, de la Normandie, de la Picardie, de la Champagne occidentale et de la Bourgogne du Nord. Raison pour laquelle les archives des templiers de la Manche, qui se trouvaient aussi à Paris, ont pu être "sauvées" des bombardements alliés pendant la seconde guerre mondiale.
L'hôtel de Soubise, à Paris, n'est pas le seul lieu où sont conservés des documents templiers. Beaucoup
se trouvent dans les archives départementales qui ont récupéré les fonds du grand prieuré de Champagne (Auxerre, Dijon et Troyes), des prieurés de l'Ouest ou du Midi, comme Toulouse et Marseille. Quand aux manuscrits retraçant les règles de l'Ordre, ils sont éparpillés entre la Bibliothèque nationale de France, la bibliothèque de Nîmes, les bibliothèques de Munich, de Prague ou de Bruges : des textes essentiels en latin
et en français, sur la discipline monastique, les règles de vie commune et la liturgie, l'organisation des repas et les multiples aspects de la vie militaire des Templiers. Sans compter les archives de la couronne d'Aragon, à Barcelone, riches de la correspondance entre les souverains et les dignitaires templiers de l'Europe entière.
Jacques de Molay fit des aveux minimalistes, retranscrits dans le procès-verbal du 24 octobre 1307 :
« Au nom du Christ, Amen ! Qu'il soit connu de tous, par ce présent acte public qu'en la 1307e année du Seigneur, 6e indiction, le 24 octobre, la deuxième année du pontificat du très saint père le seigneur Clément V, pape par la providence divine, en présence de religieux homme et honnête frère Guillaume de Paris, de l'ordre des Prêcheurs, inquisiteur de la perversité hérétique, député dans le royaume de France par l'autorité apostolique, en la maison de la chevalerie du Temple de Paris, pour enquêter contre certaines personnes qui s'y trouvent et qui sont accusés devant lui dudit crime d'hérésie, en la présence de nous, notaires publics, et des témoins soussignés, frère Jacques de Molay, grand maître de l'ordre de la chevalerie du Temple, est comparu en personne et a juré sur les saints évangiles de Dieu, qu'on lui a présentés et qu'il a touchés, de dire sur lui-même et sur les autres, dans un procès touchant la foi, la vérité pure, simple et entière. Interrogé sur l'époque et les modalités de sa réception, il a dit sous serment qu'il fut reçu, voilà plus de 42 ans,
à Beaune, au diocèse d'Autun, par frère Humbert de Pairaud, chevalier, en présence de frère Amaury de la Roche et de plusieurs autres frères dont il ne se souvient pas des noms. Il dit aussi sous serment qu'après avoir fait plusieurs promesses relatives aux observances et aux statuts de l'Ordre, ils lui mirent le manteau au cou.
Puis celui qui le recevait fit apporter devant lui une croix de bronze sur laquelle était représenté le Crucifix ; il lui dit et lui ordonna de renier le Christ dont c'était l'image. Ce qu'il fit, bien malgré lui.
Et alors celui qui le recevait lui ordonna de cracher sur la Croix, mais il cracha par terre. Interrogé sur le nombre de fois qu'il le fit, il dit sous serment qu'il ne cracha qu'une fois : de ce fait, il s'en souvient bien. Interrogé sur le point de savoir si, lorsqu'il fit vœu de chasteté, on lui a dit qu'il pouvait s'unir charnellement avec ses frères, il dit sous serment que non et qu'il ne le fit jamais ».
Les trésors du Patrimoine écrits
LE ROULEAU D'INTERROGATOIRE DES TEMPLIERS DE PARIS.
Une vidéo de Connaissances des Arts et de l'Institut national du patrimoine.
Intervenants :
- Ghislain BRUNEL - Conservateur des Archives nationales - Section anciennes
- Alain DEMURGER - Maître de conférence honoraire à l'université de Paris I Panhéon-Sorbonne
- Eric LAFOREST - Atelier de reliure et de restauration des Archives nationales
L'ensemble des séances des interrogatoires menées auprès des Templiers arrêtés à Paris a été retranscrit sur un seul parchemin conservé aux Archives nationales, dans le quartier du Marais.
Ce rouleau est composé de 44 membranes de peaux de chèvre provenant du même troupeau.
En cliquant sur les images, vous aurez les noms des Templiers interrogés.
LES 44 MEMBRANES :
Partager cet article :